mercredi, mars 21, 2007

Crime de l'humanité

Le combat personnel et moralement juste de Malik Darian, ancien candidat malheureux à plus d'un titre au présidentielles 2002 avec les caquis, pose de nombreux problèmes théoriques. On pourrait peut-être y répondre de manière simple et au cas par cas, mais d'une part j'en doute et d'autre part je suis enclin, aujourd'hui, à développer une autre thèse.

Malik Darian reprend le combat juridique de son père contre l'Etat français et la SNCF tandis que ce dernier est mort pendant le déroulement du procès. Cette procédure fut engagée en 2001, aussitôt rendu l'arrêt Pelletier sans lequel elle aurait été impossible (à noter que cet arrêt n'aurait pas été écrit s'il ne correspondait pas à une certaine réalité de l'existence d'une problématique), relativement à sa déportation subie lors de la période d'occupation allemande entre 1940 et 1944. Pour être honnête je ne sais pas si cette déportation se fait sur le sol de la France de Vichy ou dans la zone d'occupation. J'essaierai, dans la mesure du possible, de prendre le plus de distance possible avec le cas particulier de Malik Darian et de son père dont je ne connais ni les vies ni les douleurs et souffrances.

Tout d'abord comment expliquer l'existence d'une procédure juridique 60 ans après les faits ? Il s'agit bien sûr d'une culpabilité d'exception. En son temps le concept de "crime contre l'humanité" a même été inventé pour décrire ce qui est indépassable.
Mais justement ce qui est demandé c'est l'indemnisation. C'est à dire en quelque sorte une réparation. Mais aucune réparation n'est justement possible si ce n'est le dépôt tout entier, de même qu'aucune prescription, puisque la culpabilité revêt le caractère d'exception. Cette requête individuelle contre une partie de la société d'alors pose donc problème. En effet toute société est responsable et à jamais. C'est à dire que si on doit réparation à cet individu contre une partie de cette société (désignée par continuité) celle-ci s'élève à l'ensemble de la partie. On peut ensuite généraliser à toutes les parties de la société, pour toutes les victimes, et de manière intemporelle. Nous aboutissons alors, en lieu et place d'un crime de personnes contre l'humanité, à un crime de l'humanité contre des personnes ; ce qui est tout bonnement intenable. La solution est en fait la faillite du régime, la réparation est l'élaboration d'un nouveau régime qui permet l'existence à tous.

Je pense donc que nous sommes collectivement dans l'obligation de nous concentrer sur cette élaboration. Pour autant je vais reprendre certains arguments de Malik que j'ai trouvés intéressants:
"Les Français sont pour indemniser les suspects du procès d’Outreau"
Il s'agit là d'une toute autre affaire. Les déportations et la logique de génocide d'alors représentent une faute d'exception et il n'y a d'ailleurs pas de prescription.
"Nous payons pour de gens que nous ne connaissons pas, nous payons pour indemniser les coups du sort (AZF) subis par nos compatriotes, même si l’État ni les contribuables n’y sont pour rien, nous payons pour indemniser les victimes des fautes de l’État, parce qu’un jour ce peut être à notre tour d’y avoir droit, d’en avoir besoin."
L'échec de la société d'alors est total. Il ne s'agit pas d'avoir besoin un jour de telles réparations (impossibles) à notre tour justement. La réponse collective est le changement de régime.
"c’est bien les cotisants d’aujourd’hui qui paient les retraites versées aujourd’hui pour des « droits à la retraite » acquis il y a plus de 40 ans"
Dans le cas d'un changement de régime les droits sont définis par une nécessité de cohésion de la société et non de continuité.
"considérer que des indemnités pour déportation sont des biens patrimoniaux a quelque chose de sordide"
C'est bien que la faute d'exception entraîne l'impossibilité de la réparation si ce n'est la faillite du régime d'alors et l'élaboration d'un nouveau. Il serait inefficace de mettre tour à tour tous les régimes remplaçants en faillite.
"Mais Cassin avait d’autres raisons, plus générales, de mettre la République à l’abri des fautes de Vichy"
Les raisons de René Cassin de ne pas reconnaître la France dans le gouvernement de Vichy sont toujours valables et même de plus en plus avec le temps. Vichy est donc déclaré comme n'étant pas la France et la faute devient l'oeuvre de personnes physiques et non morales. Les régimes étant distincts la continuité est inapplicable sauf à mettre l'humanité en péril d'un seul coup, c'est à dire proposer un "crime de l'humanité".

Il s'agit de ma vision personnelle et non juridique. Si on me dit qu'un prix peut être fixé, je dis d'accord, après tout, comme le dit Malik Darian, cela semble avoir déjà été fait. Mais je m'interroge sur la cohérence du principe, sur la justice morale du processus d'attribution et enfin sur le caractère individuel de la faute.

0 commentaires: