jeudi, décembre 11, 2008

L'Olympe et la révolution

En ces temps de crise(s) nous sommes bien obligés de remettre en cause l'ordre actuel pour construire de nouvelles représentations du monde, attendu qu'il y aurait des choses à y changer. La remise en cause des hiérarchies, de la capitalisation de la place sociale et de son mérite ainsi que la défaite incontournable de l'immuabilité (Fukuyama lui-même déclare sa fin de l'Histoire erronée) n'est pas sans poser de problème à bon nombre d'entre nous. La pensée traditionaliste engendre des réflexes comme celui qui consiste à prendre comme référence indépassable et indiscutable ce qui est le moins mesurable et le plus idéologique, le dogme, à l'instar de la morale religieuse construite sur à peu près rien du tout comme l'a si bien dit Schopenhauer en sont temps avec une critique magistrale et pleine d'humour de l'éthique kantienne.
Ce réflexe peut pourtant avoir des résultats étranges. En cette période trouble où même l'Eglise doit négocier entre plusieurs sociétés sur lesquelles elle n'a plus d'autorité tout en faisant croire qu'elle est encore créatrice de représentation symbolique (il suffit de lire quelques transcriptions de débat théologique sur le site du Vatican pour comprendre qu'elle ne peut plus prendre explicitement position sur des questions aussi binaires que l'identification de Jésus à Dieu sous le - bon - prétexte que trop de disparités existent entre les croyances des fidèles à travers le monde), l'intellectuel traditionaliste français, à tendance catholique en vertu de notre histoire, peut se retrouver à se reporter très loin vers le passé - il ne va pas se projeter dans l'avenir si ce n'est à y voir un cycle - et se convaincre du caractère statique de la religion polythéiste, Zeus venant alors à représenter pour lui l'archétype du politique conservateur.

Si cette idée saugrenue ne peut aboutir à aucune considération intéressante en elle-même elle représente un symptôme.

Il me semble important de rappeler tout d'abord qu'une dimension importante de la religion polythéiste est qu'elle reconnaît plusieurs dieux. C'est sa grande modernité par rapport à la relative pauvreté théologique (en aucune façon une quelconque infériorité, les choses simples sont belles elles-aussi) du monothéisme quel qu'il soit.
Le fondement de la croyance que la religion grecque pourrait représenter un fondement politique conservateur tient au fait qu'elle parle d'ordre. On pense alors au statu quo, si le diagnostic du présent est acceptable, voire le plus souvent la ré-actualisation d'un ordre ancien. L'aboutissement de la politique, de l'organisation de la société, serait alors une civilisation statique et accomplie.
La figure d'Apollon semble un peu plus correspondre à cette idée d'ordre immuable entretenu par la force. Apollon, dieu superbe et quelque peu méprisant du sort des hommes, représenterait une justice écrite aux principes arrêtés tandis que Zeus est en négociation perpétuelle et le rappel constant de sa force comme menace ultime ne s'explique que par l'acceptation de la confrontation. La religion en général est une recherche d'équité avant d'être une recherche de sens. L'équité n'est pas la justice qui doit se contenter d'une information largement incomplète et d'outils de mesure quasiment inexistants l'amenant à proposer le principe dans la loi et le spectacle du tribunal comme protections.
Zeus, dieu personnifiant l'équité, ce qui fera son succès pour préparer sans doute un monothéisme moins vengeur en Europe, peut se permettre de proposer une relation personnalisée pour chaque homme, chaque créature, chaque création. Il construit un équilibre général toujours en devenir.
Le programme politique de Zeus est des plus ambitieux. Il comprend effectivement un certain ordre, le respect de la hiérarchie et du mérite, la tradition, la communauté et le rite mais aussi un véritable progressisme avec l'idée d'équité qui contient la responsabilité individuelle non capitalisable avec ses liberté-égalité pondérées et le respect absolu d'autrui en le généralisant à l'univers (dans le monothéisme la centralité de l'Homme fait du monde une simple utilité), préparant presque l'idée d'écologie. Nous sommes bien loin de la droite classique, certains pourraient même y voir une certaine anarchie avec une idée d'armonie. Il faut bien comprendre que Zeus ne peut en réalité représenter ni gauche ni droite mais une révolution majeure qui briserait, mais c'est le propre de tout dieu supérieur, nos systèmes sociaux historiques (on peut dire mortels).

L'Olympe va encore plus loin en représentant toutes les énergies humaines dans une négociation moins naïve que la dualité bien/mal. La violence et la guerre peuvent y être parfois constructives, l'enfantement et la génération terribles. Il ne s'agit pas d'y trouver matière à divertissement, l'Homme n'y est pas objet, mais d'un vrai principe de fonctionnement dynamique et une certaine vitalité. Les dieux s'y complètent et s'y affrontent parfois, se transforment aussi, pour mieux inspirer les mortels. L'idée d'inspiration, plus exactement une illumination, est d'ailleurs bien plus claire que le libre-arbitre qui n'a pas de sens dans un unique dialogue entre la créature et son créateur et si le système social est négligeable (peu importe l'essence mal définie du libre-arbitre puisque, même accepté par principe, sans interdépendance il ne peut s'exprimer). Nous ne pouvons pour autant pas parler de démocratie, dont une forme limitée a existé sur un temps très court à Athènes uniquement, mais il n'en est de toutes façons jamais question puisque de manière tautologique seule la figure de l'équité, Zeus, peut faire figure d'équité. Quand l'équité est une révolution, divine ou non, monothéiste ou polythéiste, l'Olympe y rajoute la multilatéralité et une certaine instabilité systémique qui avale toute immuabilité. Il n'est pas possible d'y déclarer tout de go « c'était mieux avant » puisque l'exercice de la raison, confrontée à autrui, y est incontournable et qu'aucune vérité ne peut être acquise une fois pour toute. Si les grecques antiques parlent d'une cosmologie à plusieurs visages c'est que l'ordre est dialectique et la civilisation un aufhebung perpétuel. L'usage de la force de l'ordre, nécessaire dans bien des situations, est une énergie à l'entretien de quelque déséquilibre social et la reconnaissance que l'ordre est factice.
La molette est fixe dans un champs de vision immobile.
C'est la règle qui bouge.

Si la droite a fini par assimiler la liberté, l'égalité est aujourd'hui une ancienne modernité, c'est à dire que tout le monde la considère comme un objectif potentiel mais qu'il ne s'agit pas encore d'une référence morale universelle. Comme en civilisation, les systèmes sociaux en charge de la religion possède leur fondement établi dans le passé. En revanche une religion en phase d'acquisition est toujours progressiste comme une société s'articulant autour du phénomène de la génération.

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